SECOUSSE

Onzième secousse

Poésie

• José Carlos Becerra ► Hibou sur le délire traduit de l'espagnol par Bruno Grégoire et Jean-François Hatchondo

  Il titubait parfois et tombait tête la première dans le portrait de son aïeul. Mais toujours il allait à reculons et le savait, il levait l’ancre en sens contraire au geste de la hisser...

• Mathieu Bénézet ► Premier crayon

  telle est la non-messe de la non-âme que nulle porte n’ouvre...

• Edna Dupont ► Dédicaces

  sur la sécheresse de la terre vestiges alphabétiques, ou pied du coléoptère, mystères ex aequo...

• Hervé Martin ► Autres métiers

  Dans le ballet des mains         et le chant des couteaux       l’enduiseur guerroie         pour construire       dans le peu de son art        cette pièce en bataille          toutes  lames dressées         pour maintenir        la verticalité des cloisons à dresser...

• Jérôme Pergolesi ► Aux petites choses de la maison

  Le poids du regard lui fait boire la rivière elle traîne des pieds dans les buissons nus au matin elle soupire et disparaît à moitié Elle a ce petit bout de jardin que les autres n’ont pas...

Proses

• Marie Étienne ► Le temps et l'interstice

  Dor pense que son passé, que sa vie tout entière est pareille à un astre observé de la terre au téléobjectif, à la longue-vue, à l’appareil déjà perfectionné dont se servit Galileo Galilei, son savant préféré, à ceux, fort compliqués, dont se servent à présent les scrutateurs du ciel...

• Jean-Paul Goux ► Arthur Sampans

  Maintenant qu’on l’a vu, immobile, yeux clos, inaccessible, dans le grésillement de machines à écrans verts où s’agitent des diagrammes, maintenant qu’on l’a regardé, qu’on a posé doucement une main sur son front en craignant de bousculer toute cette tuyauterie qui l’entrave...

• Nicolas Jaen ► L'arrachement

  Quelque chose s'est brisé que l'on ne peut plus reconstituer. C'est Rasinari, le village de son enfance, perdu deux fois : la première ce fut l'exil : au moment où les chevaux passaient du trot au galop et l'arrachaient au paradis sur terre, il comprit que le désespoir serait là...

Essais

• Vincent Gracy ► Claude Simon - Présent mémoriel, passé sur-vivant

  Au fond, il y a deux manières d’inventer en écriture : soit en traquant des possibles à venir ; soit en consignant les passés abolis. Dans la lignée de quelques géants adoubés de la modernité littéraire (...) Claude Simon (1913-2005) pour l’éternité résolument s’approprie la seconde...

Aux dépens de la Compagnie

• Isaac Babel ► Les étoiles vagabondes

  Rakhil Monko arrive du shtetl de Derajnia pour s’inscrire aux Cours supérieurs pour jeunes filles ou, si elle n’y parvient pas, dans une école de dentistes (...) On peut dire que l’amour de Rakhil pour la science est aussi immense que celui de Lénine, de Darwin ou de Spinoza pour la vérité....

Carte blanche

• Claude Adelen ► Les hommes livres

  Dans la dernière séquence donc, de ce film de 1966, on voyait passer dans la brume hivernale d’une forêt les silhouettes des derniers liseurs qui avaient fui la capitale et erraient parmi les arbres en marmonnant des phrases. Et l’on ne pouvait pas ne pas penser à Dante...

• Marie-Anne Arnaud-Toulouse ► Le temps mélange tout

  ...et même leurs voix si particulières tombées depuis au domaine commun des salles obscures : lui, on ne sait pas encore si on va aimer que le haut de ses phrases se pince à la racine du nez ; elle, si on va supporter que les siennes flottent avec des préciosités de danseuse de voiles. ...

• Stéphane Brizé ► Mademoiselle Chambon suivi d’un extrait du roman d’Éric Holder et du scénario de Stéphane Brizé et Florence Vignon

  Voilà comment ces deux objets sont intimement liés. L'un a nourri l'autre. Mais il n'y a pas d'hommage, pas de respect, pas de déférence de ma part. C'est une trahison pure et simple, une vampirisation totale d'une œuvre qui a fait écho à ma nécessité, à un instant...

• Gérard Farasse ► L'homme qu'on voit de dos

  Jacques Besson, dans Les Cahiers du cinéma, prétend que l’homme qu’on n’a vu que de dos sortir de la librairie n’est autre que Jorge Luis Borges. Voici les preuves qu’il avance : le personnage a le dos légèrement vouté et tient une canne à pommeau...

• Benoît Jacquot ► Entretien avec Catherine Soullard

  Quand je filme, je suis aux prises avec ce type de rêve éveillé qui est une opération très proche de la lecture. C'est de l'ordre de l'évocation, de l'invocation, je ne sais pas. Donc, ça a à voir avec les mots. Pour évoquer, il faut des mots. ...

• Jean-Yves Laurichesse ► Passantes

  ....je compris qu’une même image me poursuivait depuis mon arrivée, celle d’une ville dont la mer baignait les murs, et que je venais de la rencontrer à nouveau sur cet écran où se projetait le rêve d’un vieil artiste battant une dernière fois, comme des cartes, les images qui avaient hanté sa vie...

La guillotine

• Catherine Soullard ► Un pigeon chez les Laurent

  C’est Amour tout court, comminatoire, brandi en implacable démonstration, exemple des exemples, absolu indépassable. Sauf que durant ces deux heures, pas une minute l’amour ne sera présent. Il ne sera question que de ses apparences. Tout est cliché et complaisance...

Zarbos

• Aurelio Asiain ► Kokedera

  Dans le jardin de Saihô-ji, que les voisins de Kyoto connaissent communément comme Kokedera, « le Temple de la mousse », s’étendent 120 variétés de mousse. Je ne sais si les moines ou les jardiniers du temple les distinguent...

• Christian Doumet ► Les Quatuors de Bénédicte Plumey

  la première vertu des Quatuors de Bénédicte Plumey tient à cette préservation des structures essentielles du visible : segments, courbes, crosses, grands S des ouïes, traits fuyants comme des lignes de force...

• Karim Haouadeg ► La tragédie et l'espérance sur L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk d'Hélène Cixous

  ...ils se montrent d’une générosité exceptionnelle. Faisant preuve d’une étonnante maîtrise, ils portent l’exercice de leur art à un degré d’exigence et de rigueur morale qui fait qu’on ne peut que les admirer, les encourager et les aimer. Tout simplement.

• Catherine Soullard ► On ne peut jamais rien affirmer… - sur Le passé de Asghar Farhadi

  C’est toute la finesse et la violence, l’implacabilité et la subtilité du cinéaste iranien que de parvenir à mettre en scène incertitudes, secrets, non-dits, mensonges, aménagements avec soi-même, en un mot une vérité dont on ne saisit par fulgurances que des bribes...

• Catherine Soullard ► « L’expiré nous effleure » - sur Das Kind (L'Enfant) de Yonathan Levy

  Connaître quel parcours du combattant Yonathan Levy a dû mener pour que Das Kind soit vu  me semble essentiel, non pas que cette préhistoire soit susceptible de changer d’une quelconque manière la réception de son film mais parce qu’à sa manière, « d’une autre façon », elle participe au « petit miracle » de la vie...

Notes de lecture

• Kostas Axelos ► Le destin de la Grèce moderne et
  Nikos Dimou ► Du malheur d'être grec - Note de lecture de François Bordes

  En Grèce, le livre en est à sa troisième réimpression, tant il résonne dans l’actualité comme une leçon à méditer, un miroir et, peut-être, une planche de salut qui pourrait aider les Grecs à se connaître mieux et à trouver une voie « entre puissance et impuissance »...

• France Billand ► Dans le noir du paradis - Note de lecture de François Boddaert

  Dans le pagus franc-comtois, entre Belfort et Valdoie, une manière de Carte du Tendre est déployée, sur quoi la grand-mère accomplit son destin en le fouettant – sorte de lionne belfortaine à la mode dandie des campagnes...

• Gaston Chaissac ► Lettres à Jean Paulhan – 1944-1963 - Note de lecture de Pascal Commère

  Graphomanie oblige, ou manière de donner écho à ces phrases tortillardes nées de la rencontre, sur sa table de cuisine, d’une plume sergent major et d’une feuille de papier traînant là. Lui qui laissait libre cours à son esprit cocasse ...

• Henri Deluy ► Imprévisible passé - Note de lecture de Gérard Cartier

  ...agencée à la diable, comme si l’auteur feuilletait ses carnets au hasard ou suivait les caprices de sa mémoire, désordre temporel qui, s’ajoutant à la dispersion des thèmes ‒ au goût des poivrons séchés succède le Potemkine, aux élégantes de Saint-Pétersbourg la Maison de l’Amitié ‒, contribue à l’impression de dissolution de l’Histoire qui imprègne le livre...

• Christian Doumet ► De l'art et du bienfait de ne pas dormir - Note de lecture de Patrick Maury

  Car ne pas dormir, c’est vivre deux fois. Ou plutôt, simuler de vivre tous les possibles qui se bousculent dans notre tête. Et ils sont courageux, parfois pathétiques, ceux qui marchent de long en large dans leur chambre, arpentent les rues, courent les bois....

• Chantal Dupuy-Dunier ► Mille grues de papier - Note de lecture de Gérard Cartier

  Sadako a plié 644 grues. Les doigts lui font mal. Une grande aile passe devant ses yeux. Elle se tourne vers le mur. De notre vie, il ne restera rien : « Un petit tas de plumes blanches / et des vers ». Les derniers du livre.